Nous nous sommes tous interrogés, à un moment ou à un autre, sur les techniques et la qualité des enregistrements de nos galettes préférées.
Comment décrocher, parmi les rayons des disquaires, les albums qui combleront nos souhaits d’audiophile ?
La réponse est probablement en partie au cœur même de la prise de son, sur le lieu de l’enregistrement.
Aussi, je suis allé à la rencontre de Bernard COQUELET, à qui j’ai confié le soin de répondre à quelques-unes de mes questions.
Bernard possède plusieurs cordes à son arc : il est à la fois musicien, compositeur, producteur, enseignant et conférencier.
Professeur et animateur d’un cours de “musique et nouvelles technologies” au conservatoire d’ Istres Ouest Provence. Il est aussi le fondateur des éditions musicales CEMAE (Collectif Edit Music Artistes Europ).
Il est également formateur pour le C.N.F.P.T. Centre National de la Fonction Publique, qui concerne les agents des mairies, les départements. En tant que tel, il surfe sur la vague des technologies depuis 1982 et le domaine de l’enregistrement fait partie de son activité principale.
La profession et toute la filière du numérique est en pleine évolution.
Pour lui, c’est maintenant que tout commence parce qu’avec l’enregistrement numérique, on peut tout inventer, expérimenter, pour mieux laisser s’exprimer les talents de tous les acteurs qui travaillent dans le domaine artistique.
Comment sont organisées les séances d’enregistrement : quels pré amplis et micros utiliser, dans quelle configuration , quels réglages adopter ?
La réponse est dans le texte ci-dessous.
Bonjour Bernard COQUELET.
Comment s’organise une séance d’enregistrement ?
La séances s’organisent autour d’un “projet”. Celui-ci doit être formulé et détaillé clairement par son “porteur” : style, titres, moyens souhaités, nombre de musiciens, budget, diffusion envisagée, ensuite le lieu approprié (enregistrement public, salle louée, studio trad) doit être déterminé, ainsi que les moyens techniques, en accord avec l’ingénieur du son.
Session d’enregistrement.
Combien de temps dure l’enregistrement, depuis la phase des tests jusqu’à la réalisation ?
Impossible de donner un timing, il varie en fonction des paramètres ci-dessus : préparer un studio pour enregistrer une voix pour un titre. Faire 3 prises de cette voix et son montage peut durer entre 2 et 4 heures. Préparer un auditorium et enregistrer un titre avec un orchestre symphonique peut durer 2 jours ou 3 jours avec le montage, tout cela est très approximatif.
Séance d’enregistrement d’une batterie.
De quel matériel disposez-vous pour vos enregistrements ?
Les enregistrements sont faits à partir de pré-amplis R.M.E ou T.L audio à lampe, en ce qui me concerne.
Mais il est d’usage de louer tel ou tel matériel selon les besoins. Les possibilités sont alors multiples, les micros sont des Neumann, AKG, Shure, et toutes les grandes marques, sachant que dans chaque marque il y a un ou plusieurs micros parfaitement adaptés à chaque instrument.
En quelle définition sont effectués les masters ? Pour ceux qui ne le savent pas, le mastering est un enregistrement sur un support qui servira à la production en série ou à la diffusion.
Plus concrètement, les enregistrements sont eux même réalisés en 32bits et 44,1 khz ou plus… Le mastering se fait dans la résolution la plus fine permise par l’installation.
24/96 est idéal, quitte à convertir les mixes de base dans cette résolution pour effectuer les traitements du mastering.
Avez-vous fait des essais comparatifs de câbles avant de porter votre choix sur la connectique ?
Pas en comparaison A/B, mais il y a des marques qui sont indéniablement au-dessus du lot. Je parle de marques qui développent des produits pour l’audio pro, elles ont parfois une déclinaison Hi-Fi et grand public, les prix Hi-Fi sont généralement très élevés dès qu’un produit prétend apporter le graal.
En audio pro les prix peuvent être élevés bien sûr mais ils restent réalistes. Si l’on compare les câbles haut de gamme et les câbles entrée de gamme en audio pro , la différence est réelle, le plus important est de comprendre qu’il n ‘y a pas qu’un câble dans un enregistrement, mais des centaines de mètres de câble. Le problème de la qualité devient donc critique.
Question : Les enceintes monitor que vous utilisez sont-elles adaptées à une installation Hi-Fi ?
Non, elles ont une neutralité, un encombrement et un look qui n’intéresserait pas forcément un hi-fiste… lol. De plus, elles sont souvent moins chères que certains modèles Hi-Fi. Contradictoire non ?
En quoi se différencient-elles des enceintes domestiques ?
Réponse en partie ci-dessus. On demande une robustesse et une fiabilité sans faille, on installe ces enceintes en prenant soin de leur position et en effectuant des mesures et des corrections acoustiques de leur environnement. Les niveaux d’écoute pour le travail sont référencés et on est plus dans “efficace” que le “plaisir audiophile”, bien que ces deux notions ne soient pas contradictoires. Les amplis ont des “temps de montée” très courts et sont adaptés parfaitement aux transducteurs, il n’en demeure pas moins que les écoutes de studio sont soumises à des phénomènes de ”mode” et que pour certaines marques, même si le temps ne les use pas complètement, elle se voient détrônées au bout de quelques années.
De plus on utilise souvent 2 ou trois tailles d’enceintes dans les grands studios, une paire en proximité, généralement sur le bandeau de la console et une paire au fond de la cabine, répondant à une écoute plus puissante. Il y a parfois une troisième paire semblable à celle que pourrait avoir monsieur tout le monde, pour écouter si le mixage ”tient”.
Le CD (Compact Disk ou Disque Compact), qui est apparu en 1982, est toujours gravé en 16 bits. Rend-il justice à la prise de son ?
Oui et non. Cette norme est posée depuis cette époque mais ce que l’on entendait en 82 n’est plus la même chose que ce que l’on entend en 2015. La norme n’a pas changé pour ce médium mais d’énormes progrès ont été réalisés en matière de convertisseurs, d’horloges, de sampling et d’algorithmes. Ajoutez à cela un nombre important d’améliorations dans la chaîne entière, ce qui fait qu’à l’arrivée, le son de 2015 n’est pas celui de 1982.
Il va de soi que depuis plus de 20 ans les enregistrements et les ingénieurs sont ”imprégnés” de la culture du numérique pour en tirer un parti de plus en plus fin.
D’autres supports ont vu le jour : le SACD et maintenant le Blu-ray Pure Audio. Des formats haute-définition en 24 ou 32 bit ont été développés. La musique dématérialisée est en train de supplanter les disques. Comment imaginez-vous l’avenir du numérique ?
Le problème ne se situe pas en amont -développement des nouveaux formats- mais dans les moyens de restitution que veut s’offrir le consommateur. Un enregistrement en 24/96 sur un casque de smartphone, c’est comme le seigneur des anneaux sur un petit écran. Quoique l’on en dise, ce décalage reste le problème majeur. L’avenir est donc dans la prise de conscience des consommateurs guidés dans leur quotidien par le marketing et l’attirance légitime de la facilité et du confort d’utilisation. L’équation n’est pas nouvelle et elle ne s’est pas simplifiée avec le temps.
Les disques vinyles sont remis au goût du jour avec des pressages de grande qualité. On reparle de plus en plus de l’émotion que dégagent les enregistrements analogiques. Partagez-vous ce point de vue ?
En matière de musique, l’émotion vient avant tout du contenu, pas du contenant. Toutefois l’aptitude du support à retranscrire ce contenu, y compris en ajoutant” une “pâte”, est déterminant pour le plaisir ressenti par l’auditeur, chaque “système” de retranscription apporte sa propre couleur et nos sens aiment se laisser bercer, bluffer ou abuser par ces phénomènes . Alors soyons fous, jouons le jeu.
J’ai constaté que le vinyle apporte un soyeux et une chaleur dans les voix supérieurs à son équivalent numérique. A quoi pensez-vous que cela est dû ?
Le vinyle, si l’on parle de celui d’aujourd’hui, est adapté à des styles de musique plus restreints qu’ils ne l’étaient à l’époque du vinyle original. Il serait intéressant de comparer un même titre enregistré d’une façon adaptée à ces deux écoles de bout en bout de la chaine, on serait peut surpris du résultat.
Pour avoir eu l’occasion d’écouter en 2008 des enregistrements en 24 bits à partir de clé USB, sur du matériel NAGRA et des enceintes EVENTUS, j’ai été subjugué par le niveau de réalisme de la restitution. Au dernier Salon du High-End à Munich nombre d’exposants utilisaient des clés. Comment considérez-vous ce support ?
En tant que support, on lui confie une tâche de “stockage”. Cela ramène en partie à tout ce que l’on vient de dire en amont.
Question : Quel est votre équipement Haute-Fidélité ?
Sans rire, tout et n’importe quoi.
Au début de ma carrière, lorsque j’étais étudiant au conservatoire, j’avais construit mes propres enceintes, aidé par un voisin fou d’électronique (il travaille aujourd’hui chez Texen). Je m’étais équipé d’amplis transistors à effet de champ F.E.T (on parle des années 70) et je passais des heures à traquer le souffle, le rumble, la distorsion et autre sida du son, lol.
Aujourd’hui, si je veux faire un “bilan écoute”, j’utilise mes enceintes Adam et un casque Sony MDR 7506. Avec une moyenne que mon oreille a appris à faire avec le temps, je peux alors me faire une idée critique, mais en fait l’oreille et le cerveau sont des outils fabuleux qui peuvent reconstituer grâce à une alchimie émotionnelle et subjective des choses qu’elle n’a pas techniquement perçues. Pour exemple, Rupert Neve, un des plus grands ingénieurs du son et concepteur (CQ audio, console Neve, Focusrite) âgé de 89 ans, répondait à un journaliste qui lui demandait s’il entendait toujours bien pour être capable de concevoir des circuits qui sonnent merveilleusement : ”peut être pas, mais mon oreille corrige…”
A ce titre, un audiogramme après avoir acheté la meilleur chaîne Hi-Fi serait édifiant.
Question : Retrouvez-vous sur votre système l’empreinte sonore de l’écoute en studio ?
Je retrouve l’équilibre ou une partie de l’équilibre que j’ai voulu y mettre, fut il déformé.
Question : Intéressez-vous à l’évolution du marché de la Haute-Fidélité ?
Pas vraiment. Pour moi, c’est un autre monde, avec d’autres règles marketing, d’autres objectifs. Cependant, la passion et la musique restent le dénominateur commun.
Quelles sont les marques que vous connaissez le mieux ou dont vous avez entendu parler?
Je ne peux pas prétendre connaître une marque en particulier, bien que j’ai écouté plusieurs installations. Mon temps d’écoute “disponible” reste celui que je consacre à la production ou dans l’optique de la production. Cela paraît surréaliste de répondre comme ça mais pour donner une image : je viens de faire 10 heures de musique pendant plusieurs jours, je suis “over” et vous passez me chercher à l’improviste pour m’emmener à la fête de la musique lol… il est pas sûr que je sois capable de consacrer du temps à cette sortie….sans doute une soirée avec des amis ou un beau paysage m’apporteraient plus de plaisir…re lol….
Question : Envisagez-vous de remplacer votre équipement actuel ?
En équipement de studio, oui mais il n’y a aucune urgence.
Par quels appareils ?
Je resterai dans Adam ou Focal…mais bon, c’est pas figé.
Question : Avez-vous quelque chose de particulier à transmettre aux blogueurs de ce site ?
Transmettre n’est peut-être pas le mot. Si les lecteurs sont sur ce blog, c’est qu’ils ont déjà partagé beaucoup de choses avec d’autres personnes, s’ils ont eu la gentillesse de lire mes propos et qu’ils veuillent bien y apporter un peu de critiques et de réflexion, cela serait quelques moments de partages en plus …
Question : Quel serait votre mot de la fin ?
Jésus dit : “prenez du plaisir à acheter votre pain dans une boulangerie qui sent bon, goûtez et partagez ce pain, il est fait avec amour par votre boulanger chaque matin, il doit vous réjouir quand vous le dégustez, achetez le au juste prix, visitez la boulangerie : l’artisan sera très honoré, mais n’oubliez pas que l’on ne peut pas être au four et au moulin, du côté du marteau et du coté de l’enclume”. Etre heureux seul est aussi noble que d’être heureux à plusieurs. La musique n’est pas toujours un plaisir solitaire, elle peut aussi se partager et en tout cas elle n’arrive pas chez nous par la seule volonté d’un individu, du créateur. Du producteur à la Hi-Fi c’est un peu le même voyage.
Cette rencontre a été un moment unique dans mon parcours d’audiophile. Je vous suis très reconnaissant de m’avoir ouvert les portes de votre studio et de m’avoir permis d’accroître mes connaissances.
Merci M. COQUELET de nous avoir fait partager votre expérience du métier de preneur de son et de votre expertise de la musique, sous toutes ses formes.
Site internet de Bernard COQUELET : Bernard COQUELET Composer
Il y a 33 ans naissait le CD, le 17 août 1982 exactement. Lisez quel est le personnage qui a joué un rôle prépondérant dans la production du premier CD de l’Histoire, ici.
Matériel qui équipe la cabine d’enregistrement :
– console TASCAM M600 32/16/16/2
– logiciel CUBASE Pro
– carte de calcul Universal Audio avec 2 processeurs Sharp
– Carte son RME Fireface 800, reliée en port FireWire, dont la particularité est l’absence de dérive des horloges qui assure une stabilité au top du jitter
– Sur l’ordinateur, interface PCI Express
– Enceintes de contrôle ADM S3A amplifiées
– Tout le câblage est en XLR, y compris sur les enceintes
– Les drivers utilisés dans le domaine pro sont à la norme VST (Virtual Studio Technology).
Les plug-ins VST sont des modules de conversion de données audio et MIDI en temps réel.
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